Le tribunal administratif a prononcé la dissolution de LADDH, la dernière grande organisation indépendante du pays, en septembre. Ses militants l’ont découvert avec stupeur ce week-end.
par Célian Macé
publié le 23 janvier 2023 à 17h47
La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) existe-t-elle encore ? Légalement, non, à la grande surprise des intéressés. Les membres de la LADDH ont appris vendredi que le tribunal administratif d’Alger avait prononcé sa dissolution… le 28 septembre. Au sein de l’organisation, personne n’était au courant. Le document du jugement circule seulement depuis quelques jours sur les réseaux sociaux. On y apprend qu’un procès à son encontre s’est tenu le 29 juin 2022 – sans qu’aucun représentant de la Ligue ne soit présent à l’audience – après une plainte du ministère de l’Intérieur.
Pour les militants, la situation est aussi absurde que tragique. Ainsi disparaît officiellement, dans cette étrange confusion administrative, «le dernier témoin de la détérioration des droits humains en Algérie», indique Saïd Salhi, le vice-président de la LADDH. «On ne va pas se laisser faire, on va se défendre, précise le responsable, exilé en Belgique depuis cet été. Ils ont agi de manière sournoise et lâche. On étudie actuellement avec nos avocats les voies de recours.»
Selon la décision de justice de 28 septembre, il est reproché à la LADDH ses affiliations à des entités internationales (la Fédération internationale des droits de l’homme, le réseau Euromed, la Coordination maghrébine). «Depuis une loi votée en 2012, tout partenariat avec l’étranger doit recevoir l’aval des autorités, détaille un militant à Alger. Le comble, c’est qu’on a réellement essayé de se mettre en conformité, mais que l’administration a soigneusement évité de nous répondre !»
Méthode du clonage
La Ligue est également accusée par le ministère de l’Intérieur d’entretenir une confusion volontaire sur l’identité de ses responsables. «A partir de 2007, il y a eu trois tendances au sein de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme. Depuis le Hirak [le soulèvement populaire de 2019 qui a provoqué la chute du président Bouteflika, ndlr], elles étaient en voie d’unification, explique un vétéran de l’organisation. Mais en 2018, deux autres courants sont nés. Ceux-là sont de pures créations du pouvoir, on ne connaît même pas les gens qui les composent. Ils revendiquent le nom de la LADDH, ils créent des sections, mais ils servent simplement à nous diviser.» Au Maghreb, cette méthode classique de sape des ONG indépendantes, encouragée en sous-main par les autorités, est connue sur le nom de «clonage».
«Le jugement nous accable aussi pour avoir “outrepassé nos statuts” en rapportant la répression à l’œuvre en Algérie à l’ONU, en appelant publiquement à la libération des détenus politiques, en dénonçant des procès injustes et inéquitables… mais c’est notre raison d’être, notre travail de défenseur des droits humains !» rappelle Saïd Salhi. Fondée en 1985, reconnue officiellement en 1990, la LADDH est la «première association de défense des droits de l’homme à avoir vu le jour en Algérie depuis l’indépendance», rappelle Pierre Vermeren, qui consacre un chapitre à la Ligue et à son fondateur, Abdennour Ali Yahia (décédé en 2021), dans son livre Dissidents du Maghreb (1). «Elle est le produit historique du mouvement berbériste, de l’esprit de résistance des Kabyles, et de l’opposition à la dictature, retrace l’historien. C’est la seule organisation algérienne qui a traversé toutes les tempêtes, notamment la décennie noire, avec courage et clairvoyance. Elle est toujours là, ne s’est jamais trompée dans ses combats. Sa dissolution est un signal glaçant.»
«Une certaine complicité»
Elle survient publiquement moins d’un mois après l’arrestation d’Ihsane el-Kadi, directeur des médias indépendants Radio M et Maghreb Emergent. Et un an après la dissolution du Rassemblement action jeunesse. L’association, qui fut à la pointe du Hirak, a fait appel. La décision en seconde instance est attendue jeudi. «Tous ont en commun d’avoir appuyé les revendications du Hirak – le changement de système politique –, elles-mêmes criminalisées par l’extension de la définition du terrorisme en juin 2021. “Œuvrer ou inciter à un changement du système de gouvernance politique par des moyens non constitutionnels” est désormais un élément constitutif du crime de terrorisme en vertu de l’article 87 bis du code pénal, rappelle Mouloud Boumghar, professeur de droit public. La dissolution de la Ligue s’inscrit dans le cadre d’une répression méthodique visant à empêcher la résurgence de tout mouvement comparable au Hirak et pouvant contester un régime dont la base sociale est extrêmement faible, surtout dans la perspective de l’élection présidentielle de 2024.»
Ce lundi, le centre de documentation en droits humains de la LAADH à Béjaïa – le bureau le plus actif de la Ligue, en Kabylie – a été placé sous scellé. Au même moment, le chef d’état-major, Saïd Chengriha, entamait une visite officielle en France. La dernière remontait à près de dix-sept ans. Le président Abdelmadjid Tebboune est quant à lui attendu à Paris «pour le mois de mai prochain», selon la présidence algérienne. «Nous avons une certaine complicité [avec Emmanuel Macron], a estimé le chef de l’Etat en décembre. Nous avons une amitié réciproque. Certes nous avons eu, lui comme moi, des formules malheureuses, mais c’est la première fois me semble-t-il qu’il y a une telle relation de confiance entre nos deux pays.»
(1) Dissidents du Maghreb depuis les indépendances. De Khadija Mohsen-Finan et Pierre Vermeren. Editions Belin, 2018.
Source: Libération