En prenant pour cible la France, le président Abdelmadjid Tebboune tente de détourner l’attention de ses citoyens des problèmes politiques et économiques du pays. Mais le subterfuge ne prend pas. Par Nazim Ben
C’est une exaspération sourde et menaçante qui couve depuis plusieurs mois. Fin décembre, elle s’est matérialisée par une campagne sur les réseaux sociaux sous le mot d’ordre Manich Radi (« Je ne suis pas satisfait »). Lancée par de jeunes contestataires, l’initiative voulait dénoncer l’injustice et la dégradation de la vie quotidienne des
Algériens. Elle s’est rapidement muée en un mouvement de fond, auquel se sont joints des milliers d’internautes.
Face à cette colère pacifique, une contre-offensive a aussitôt été lancée sur les mêmes réseaux, avec le hashtag Ana Mâa Bladi (« Je suis avec mon pays »), qui vise à discréditer le camp des « insatisfaits » en les accusant de vouloir « déstabiliser le pays ». Une ritournelle chère au pouvoir algérien, qui, « pour se dédouaner de ses échecs politiques, accuse de complotisme toutes les voix dissidentes du pays, servant, selon lui, des agendas étrangers », dont, bien sûr, celui de la France, écrivait, début janvier, le politologue Mohamed Hennad. Pour beaucoup d’observateurs, cette opération trahit en réalité la grande inquiétude qui étreint les sphères du pouvoir, soucieux de sa propre survie, avec en toile de fond le souvenir du « Hirak », le mouvement de protestation populaire de 2019. Sinon, pourquoi le président Tebboune lui-même s’est-il senti obligé de s’exprimer sur cette campagne en affirmant, à la télévision d’État, que ce n’est pas un hashtag [#Manich Radi] qui ferait vaciller l’État algérien ?
Tensions palpables
En attendant, la main de la répression frappe fort. On dénombre, à ce jour, une quinzaine d’interpellations suivies d’emprisonnements, selon Abdelghani Badi, l’avocat des détenus d’opinion. « Ces arrestations, qui se poursuivent encore aujourd’hui, s’ajoutent aux 200 détenus, au moins, qui croupissent dans les prisons algériennes pour délit d’opinion », précise-t-il à Marianne, en pointant du doigt les « procédures de condamnation abusives contenues dans le Code pénal algérien, notamment l’article 87 bis ».
Celui-là même qui punit « tout acte terroriste ou subversif, tout acte visant la sûreté de l’État, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions » et qui a frappé l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, arrêté il y a deux mois et toujours derrière les barreaux.
Les méthodes de barbouzes du gouvernement – des civils viennent chez les gens à toute heure pour les appréhender – irritent en tout cas fortement les Algériens, qui pourraient de nouveau battre le pavé tant la tension est palpable dans le pays. Dans les principales facultés de médecine, d’importants mouvements étudiants sont en cours. Objectif ? Garantir les emplois après formation…
De désillusion en désillusion, de larges pans de la société algérienne s’inquiètent aujourd’hui des politiques « aléatoires » conduites par les autorités du pays. Avec un pouvoir d’achat qui se réduit comme peau de chagrin – le salaire moyen ne dépasse pas les 350 € mensuels -, une inflation qui a atteint des seuils critiques, un taux de chômage officiel de 12,7 % et des réformes économiques qui ne profitent qu’à une oligarchie proche du pouvoir, la situation du pays est loin d’être alléchante.
Source: Mariane