De retour d’Algérie, le rapporteur de l’ONU sur les droits à la liberté de réunion et d’association exhorte les autorités à réformer le cadre légal, qui n’est pas conforme avec la Constitution de 2020 et nourrit la peur.
«L’Algérie ne tue pas ses opposants, mais ces derniers ont peur.» Pour le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, le cadre légal en place dans le pays dissuade les «voix critiques» de s’exprimer. En visite officielle dans le pays du 16 au 26 septembre, le juriste et diplomate togolais Clément Nyaletsossi Voule a rencontré les autorités et les membres de la société civile afin de dresser un panorama de la situation démocratique dans le pays. Il appelle le gouvernement algérien à «tenir les promesses de la Constitution et des aspirations des manifestations du Hirak», et à «gracier» les personnes condamnées pour leur implication dans le mouvement de contestation né en 2019.
Quelles conclusions tirez-vous de votre visite de dix jours en Algérie ?
Le mouvement du Hirak, qui a amené des millions d’Algériens dans la rue pour réclamer davantage de libertés et de droits, a été un tournant important dans le pays. Ce constat est dressé non seulement par la société civile, mais aussi par les autorités. Ces dernières reconnaissent que ce mouvement a montré la maturité du peuple algérien, qui a su éviter tout débordement, tandis que les forces de sécurité se sont contrôlées, sans entrer dans des considérations politiques, dans un contexte difficile.
Mais le défi est ailleurs. Les lois qui sont toujours en application aujourd’hui ne sont pas en phase avec la Constitution de 2020 qui a consacré le Hirak comme un moment où le peuple algérien a exprimé ses aspirations. Des activistes ont été emprisonnés sur la base d’anciennes lois. De même que des partis politiques ou des associations comme la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme ont été dissous. Le cadre légal (les lois relatives aux partis politiques, aux associations, ou aux réunions et manifestations publiques) n’est plus conforme avec la Constitution.
Si on se réfère à l’article 225 de la nouvelle Constitution, les lois dont la modification ou l’abrogation sont rendues nécessaires en vertu du nouveau texte doivent être modifiées dans un «délai raisonnable.» En 2023, il me semble qu’on dépasse ce temps raisonnable. D’autant qu’on se dirige vers une nouvelle élection présidentielle fin 2024. Dans l’esprit des Algériens, les autorités veulent maintenir cet arsenal répressif.
Ce durcissement s’est-il accentué sous la présidence d’Abdelmadjid Tebboune ?
Il existe en tout cas un sentiment de peur, exacerbé depuis que le code pénal assimile à du «terrorisme» ou à du «sabotage» tout appel ou incitation «à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels». Depuis l’adoption de cet article 87 bis, en juin 2021, appeler à manifester contre le gouvernement peut être qualifié d’atteinte à des institutions républicaines. L’Algérie ne tue pas ses opposants. Mais ces derniers ont peur de faire face à une procédure judiciaire qui pourrait les conduire en prison. L’arsenal répressif est devenu une épée de Damoclès qui plane au-dessus de leur tête.
Comment cette visite s’est-elle déroulée ?
J’ai rencontré à la fois des membres du gouvernement, mais aussi de la société civile. J’ai pu m’entretenir avec tous les ministres – de l’Intérieur, de la Communication, du Travail, le directeur général de la sécurité nationale – que je souhaitais rencontrer. Ainsi qu’avec les walis [qui représentent l’État au niveau d’une wilaya, c’est-à-dire une division territoriale, ndlr] d’Alger, d’Oran ou de Bejaïa.
J’ai également discuté avec des journalistes et des victimes, qui avaient émis le souhait de s’entretenir avec moi. En tant qu’expert, mon objectif est ensuite de relayer au gouvernement, qui ne sait pas qui j’ai rencontré, ce que j’ai pu entendre. Car beaucoup d’Algériens ne veulent plus parler.
Les autorités algériennes ont-elles été réceptives ?
En allant en Algérie, je m’attendais à une certaine réticence du gouvernement. Je disais moi-même à mes équipes que la coopération risquait d’être difficile. Mais j’ai été impressionné du niveau d’échanges sur le terrain. J’ai parfois eu des discussions difficiles, mais elles ont toujours été constructives et ouvertes. Nous repartions des entretiens en nous serrant la main.
Combien d’opposants sont actuellement en prison en Algérie ?
D’après les informations que j’ai récoltées, environ 200. Mais le gouvernement a précisé que ce nombre est excessif, et ne prend pas en compte les amnisties accordées aux détenus.
Quelles sont vos recommandations ?
Les Algériens n’osent plus manifester contre le gouvernement, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problème. Il faut l’ouverture d’un espace civique, que les voix critiques soient libres de s’exprimer. L’adoption d’une nouvelle Constitution en 2020 prouve que les autorités veulent aller de l’avant. Mais aujourd’hui, les considérations sécuritaires priment sur la question des droits de l’homme. Le changement de législation ne réglera pas tout, mais sera une bonne avancée.
Source: Libération