Pour comprendre les évolutions actuelles du régime algérien, il faut au préalable lever une idée fausse. Le régime algérien n’a jamais été militaire. Il il est en train de le devenir. Certes l’armée a toujours été la colonne vertébrale du régime. Elle en était acteur hégémonique. Mais absolument pas un acteur exclusif. Bien au contraire, elle a toujours veillé à tisser un partenariat avec des acteurs politiques civils ayant une surface politique et sociale significative. Ce qui lui permettait d’exercer une influence et un contrôle sur les affaires publiques, mais sans s’impliquer directement et de façon permanente dans le processus politique. Celui-ci était dévolu à des acteurs politiques civils. Dévolu et négocié, et parfois âprement. Entre Bouteflika et l’armée, les négociations pour son accès à la présidence s’étaient ouvertes dès 1994, elles ne se sont conclues qu’en 1999. Elles ne se sont jamais arrêtées jusqu’à sa chute en 2019. C’est dire que les acteurs civils ne servaient pas seulement de caution. Ils étaient totalement partie prenante et inspirateurs du système totalitaire algérien. Ils convergeaient avec l’armée autour de ce système. Ils s’appuyaient sur elle et, en retour, apportaient leur ingénierie politique et sociale et leur ancrage.
C’est cet écosystème politique qui a permis au régime algérien de développer une résilience sur six décennies. Et c’est cet écosystème que l’armée, violemment percutée par le Hirak, s’emploie à détruire dans un mouvement de militarisation qui change la nature du régime algérien.
Le changement de nature du régime, son évolution vers un régime militaire
Le Hirak est né d’une volonté de faire échec à un cinquième mandat d’un Bouteflika grabataire. Mais une fois celui-ci démis, la contestation s’est alors retournée contre l’armée. C’est la première fois dans l’histoire algérienne que l’armée était prise à partie directement et nommément. Elle a été conspuée pour ses généraux affairistes, ordonnateurs et symboles d’une corruption devenue criante. Mais elle a été surtout contestée pour son pouvoir tutélaire sur la vie politique. « Etat civil et non militaire » a été le mot d’ordre le plus récurrent et le plus consensuel.
Sortie ébranlée de cet épisode de contestation où le pouvoir a sérieusement vacillé et elle avec lui, l’armée a investi le devant de la scène. Ce n’est pas nouveau dans l’histoire de l’Algérie. Sauf que cette fois, elle tient à y demeurer. Et en se repliant sur elle-même. Avec une obsession pour le contrôle des situations et des hommes et la méfiance envers tout capital politique des acteurs civils. L’armée est non seulement restée sur le devant de la scène mais elle exerce un monopole total, sans partage, sur la vie politique et institutionnelle du pays.
On a un réel changement de nature du pouvoir qui se confond dorénavant totalement avec les militaires et où la place des civils est réduite au simple rôle de façade.
Une présidence dévitalisée.
Lorsque les militaires arrivent à imposer en décembre 2019 une élection présidentielle, le trait marquant des candidats autorisés n’est pas tant qu’ils soient tous issus du sérail mais la faiblesse voire l’absence de poids politique et leur manque d’inscription dans les réseaux politiques influents au sein du régime.
Celui qui sera adoubé par la hiérarchie militaire, Abdelmadjid Tebboune, avait un parcours de fonctionnaire qui a gravi un à un les différents échelons de la bureaucratie où il a fait toute sa carrière en débutant comme sous-préfet. Il représentait le profil-type de responsables civils que souhaite promouvoir la hiérarchie militaire : des fonctionnaires sans relief politique. Ce choix sera répliqué aux autres échelons, notamment au gouvernement où tous les ministres, y compris les premiers d’entre eux, seront dorénavant des fonctionnaires le plus souvent méconnus du public. L’armée s’assure ainsi d’avoir des exécutants ne pouvant discuter ses choix.
La présidence n’est plus de ce fait le pôle de pouvoir qu’elle avait pu être auparavant. Si l’armée a toujours eu le dernier mot sur le choix du président, une fois celui-ci adoubé, il faisait de la présidence un pôle de pouvoir important et bénéficiant d’une autonomie dont la limite est l’équilibre avec les autres pôles de pouvoir et le nécessaire consensus avec l’armée et les services de sécurité. Ce ne sera donc plus le cas avec Tebboune.
Le Pari perdu d’avance de Macron sur Tebboune
Mitterrand avec Chadli et Chirac avec Bouteflika pouvaient raisonnablement espérer contrebalancer des rigidités du régime algérien en entretenant des relations particulières avec leur homologue algérien et en l’appuyant. Avec Bouteflika, Chirac est même arrivé à la conclusion d’un traité d’amitié comportant des clauses sécuritaires et militaires qu’il a pu faire accepter à l’armée algérienne. Ce n’était plus vrai avec Tebboune. Aussi, le pari fait sur lui par Macron était perdu d’avance. L’entourage de celui-ci a entretenu longtemps l’illusion d’une présidence algérienne encore pôle parmi les pôles de pouvoir alors que tout montrait que l’armée algérienne en était devenue le pôle exclusif. Tebboune n’était qu’un canal de transmission, une boite aux lettres à l’international que se donnait l’armée. Cela explique les impatiences et les irritations de Macron devant le peu de répondant à ses ouvertures et pourquoi sa visite à Alger d’août 2022 qui avait mobilisé la moitié du gouvernement français et entretenu une réelle euphorie en son sein, n’a eu aucune suite. Ses messages mettaient en fait du temps à être consultés par les véritables destinataires, une hiérarchie militaire pléthorique trop occupée à trancher les enjeux de pouvoir en son sein.
Si Macron n’a jamais réussi à faire venir en France Tebboune dont la visite était sans cesse annoncée puis reportée, cela n’avait pas beaucoup à voir avec les turbulences de la relation franco-algérienne. La preuve est qu’il en a été de même avec une autre visite, celle de Kabylie, souhaitée par l’entourage de Tebboune mais toujours autant reportée. Il s’agit des deux terrains les plus sensibles de la géopolitique algérienne et sur lesquels l’état-major ne veut pas donner la main à Tebboune. Ces reports étaient plutôt des interdits qui disent les limites dans lesquelles l’état-major tient à circonscrire le rôle et la stature de Tebboune. Celle-ci sort encore plus diminuée d’une réélection qui l’a rendu encore plus tributaire de l’armée.
La militarisation en marche
Tout en gouvernant de fait le pays et en exerçant un monopole total sur la vie politique du pays, l’armée a tenu à inscrire ce pouvoir dans les institutions. Dès novembre 2020, moins d’un an après l’élection présidentielle, elle fait une révision constitutionnelle qui lui attribue la mission de « défendre les intérêts vitaux et stratégiques du pays », dans une formulation volontairement large pour ne rien s’interdire. En décembre 2021, un décret modifiait la composition du Haut Conseil de la sécurité pour donner la majorité aux militaires et habilitait celui-ci à intervenir dans des référendums portant sur des questions de « nature fondamentale ». En septembre 2025, ce Haut conseil de sécurité adopte un nouveau format « restreint » composé exclusivement de militaires en sus du président. En juin 2025, à la veille de la campagne présidentielle où l’armée a hésité à reconduire Tebboune, un décret est publié qui autorise le détachement d’officiers de l’armée dans la haute administration civile et permet de passer de fait celle-ci sous le contrôle de l’armée. Plusieurs grandes entreprises et administrations sont déjà gérées par des officiers. En dépouillant la présidence jusqu’à la priver même de sa fonction de gestion de la haute administration et en se la réattribuant, l’armée a dévitalisé la fonction présidentielle. Elle se garantit ainsi, avec ou sans président militaire, de gouverner et d’administrer directement le pays.
Les impasses de la militarisation
Mais ce processus de militarisation a généré ses propres impasses. Celles-ci se sont vues dans la reconduction de la candidature de Tebboune à laquelle l’armée s’est trouvée contrainte. Bien que consciente du handicap que représentait celui-ci en raison de son indigence politique, elle n’a pu lui trouver d’alternative car elle a bridé le vivier politique et réduit celui-ci à des acteurs sans relief semblables à Tebboune.
Les ratés de l’élection présidentielle qui ont vu un cafouillage, une cacophonie et des querelles entre institutions toutes pourtant quadrillées par l’armée, ont montré la difficulté de celle-ci à mettre en cohérence les différents appareils de pouvoir qu’elle contrôle. Le fait qu’elle ait été obligée ensuite d’intervenir directement par une forme de coup de force pour imposer des résultats, signifiait que bien qu’elle se soit arrogée tous les pouvoirs, l’armée n’arrive ni à les activer ni à les exercer.
L’exercice solitaire du pouvoir censé la préserver d’interférences incontrôlables ne lui a pas permis de retrouver une centralité et a, au contraire, accentué ses divisions et l’a entrainée dans une spirale de lutte de pouvoir interne qui ne voit toujours pas de fin et se soldent toujours par des purges. Il y a 160 officiers supérieurs en prison dont 30 généraux. La présidentielle de septembre dernier s’est soldée dès son lendemain par le limogeage du patron de la police et son emprisonnement et le limogeage du patron du renseignement extérieur, le sixième en moins de 4 ans.
Pendant près de 5 ans, Chengriha n’a pas réussi à se faire nommer comme ministre délégué de la défense comme c’est de tradition pour un chef d’état-major en raison d’absence de consensus. Sa récente nomination, acquise par concession, ne signifie pas un renforcement de son pouvoir.
Si l’armée exerce un monopole sur le pouvoir, il n’y a personne qui détienne l’essentiel du pouvoir en son sein, celui-ci se réparti, dans un partage instable, entre différentes factions en recomposition inachevée. En dehors d’un consensus autoritaire, il n’y a de ce fait aucun projet politique qui se dessine
La France face au Hirak
La relation à la France a été fortement impactée par la séquence du Hirak dont il faut rappeler que les autorités françaises se sont gardées de lui manifester le moindre signe de soutien et ce n’est pas seulement par prudence. Macron et son entourage, n’en ont pas pris la juste mesure. Ils l’ont réduit à un mouvement de protestation citadin minoritaire sans impact sur le pays profond, réduit à la ruralité, alors que le pays est composé au trois-quarts d’urbains dont la majorité vit dans des villes de plus de 100.000 habitants. Jusqu’à l’arrestation de Sansal, les acteurs politiques français ne se souciaient guère des prisonniers politiques en Algérie et au moment où en 2022, la France célébrait ses relations avec l’Algérie, il y avait autant de prisonniers politiques dans les geôles algériennes qu’aujourd’hui, plus de deux cents. Cumulés, ils sont quelques milliers qui, sur ces 6 ans, ont été emprisonnés pour leur opinion, essentiellement pour soutien au Hirak. Cela ne justifie pas mais explique, malheureusement pour Sansal, l’attitude circonspecte teintée de suspicion de beaucoup d’activistes et intellectuels algériens devant l’intense et légitime mobilisation pour sa libération.
L’incarcération de Sansal
Je crois que l’arrestation de Boualem Sansal est une arrestation d’opportunité dont l’instrumentalisation est venue après-coup. Elle est tombée à point dans un moment où le régime, isolé, tentait déjà de ressouder autour de lui sa population sur une supposée menace sur l’intégrité territoriale. Les propos de Sansal contestant l’Algérianité de certains territoires venaient donner corps à ces menaces. Et le lien de Sansal à la France venait ajouter un élément de relance à une campagne quasi permanente depuis le Hirak sur l’« ingérence française ». Cette arrestation illustre une double régression. Celle d’une perte d’expertise politique qui ne mesure plus les effets-retour catastrophiques de cette arrestation, notamment à l’international, incomparablement plus élevés que les dividendes que compte en tirer le régime sur le plan intérieur. Celle d’un affaiblissement géopolitique où le régime n’ayant plus d’atouts de puissance à faire valoir , s’en trouve contraint de se rabattre à faire chantage avec la liberté d’un homme. C’est un jeu hasardeux qui décrédibiliserait l’Etat algérien et le rapprocherait dangereusement des pratiques des Etats-voyous
L’ héritage mémoriel des luttes anticoloniales et son instrumentalisation
Il y a chez l’écrasante majorité de la population algérienne un attachement à l’héritage mémorielle de la lutte anticoloniale qui a fait de l’Algérie une nation et des Algériens des citoyens. Cet attachement surclasse les déceptions devant les perversions et le détournement des dividendes de l’indépendance. Je me revendique aussi de cet héritage qui a fait de moi ce que je suis. Ce qui nourrit mon opposition au régime actuel, c’est aussi son instrumentalisation de cet héritage, c’est de l’avoir dévalorisé au point de le rendre accessible et salissable par les nostalgiques de la colonisation. M. Retailleau qui soutient toujours que « la colonisation c’était aussi des heures qui ont été belles » a ainsi beau jeu de montrer comment le passeport diplomatique algérien, instrument de souveraineté nationale, est devenu un privilège largement distribué à une clientèle étendue du régime pour lui faciliter l’accès à la France sans visa. Pour contourner l’obligation d’un justificatif de mission qu’il a imposé même à ces passeports diplomatiques, le régime algérien vient de négocier avec la Slovénie, pays membre de l’UE mais dont le pouvoir actuel est proche de Poutine, la possibilité d’accès sans visa pour les porteurs de ce passeport. Bien sûr la Slovénie n’est qu’une étape pour rejoindre la France. Celle-ci reste le réceptacle privilégié des dividendes de la corruption de la nomenklatura qui en a fait sa résidence secondaire et le futur de sa progéniture tout en distillant un discours de défiance contre la France à l’usage de sa population.
Le régime algérien et M. Retailleau : deux acteurs complémentaires jouant la même partition
Mais il ne faut pas se leurrer, dans le bras de fer qui se joue entre le ministre de l’intérieur et le régime algérien, les deux acteurs sont complémentaires et jouent la même partition. Ils sont tous les deux ultra-minoritaires dans leur pays tout en ayant conquis par effraction, chacun à sa façon, les moyens de leur Etat. Et ils utilisent ces moyens pour durer. L’un en courant derrière les islamistes et les conservateurs en tentant de les rabattre par l’image d’une France satanique, l’autre en courant derrière le RN qui a fait sa « normalisation » même sur l’antisémitisme qui en a été pourtant constitutif mais pas sur la colonisation. La rancœur y est toujours vivace à l’égard de l’Algérie et s’étend à ses immigrés. L’Algérie est convoquée pour en faire le marqueur de clivages politiques à hystériser dans la société française pour un agenda politique où se profile déjà l’élection présidentielle, sans égard pour leurs retombées internationales. La stratégie de la tension de M. Retailleau a redonné du souffle à un régime algérien isolé dans sa population et a eu pour effet de ressouder celle-ci autour de lui car cette dernière perçoit que cette stratégie, au-delà d’un régime, vise un pays. Le régime algérien a trouvé son meilleur ennemi. Il n’en a cure des sanctions, il les transforme en gains politiques pour se consolider à l’intérieur. Et c’est tout ce qui lui importe car, depuis le Hirak, s’il n’est pas tombé, il continue toujours à vaciller.
Le régime, le Hirak et la diaspora
Le régime algérien a bien pris au sérieux la puissance et la radicalité de la contestation qui s’est exprimée dans le Hirak au point que toutes ses actions sont, depuis, orientées par l’évitement de son retour. Même sa politique vis-à-vis de la France. D’abord en raison d’une diaspora qui continue à y faire vivre un Hirak effacé de l’espace public en Algérie par une terrible répression. Ce n’est pas un hasard si la crise entre les deux pays s’est ravivée autour de la question des influenceurs algériens et que ces derniers avaient comme cible les activistes du Hirak. L’investissement sécuritaire algérien en France est très important. Il est de tradition que les consuls soient issus de la haute hiérarchie policière. Ce corps est par ailleurs en train de connaitre une militarisation avec la nomination de consuls issus de l’armée. Les patrons du renseignement extérieur accèdent à ce poste, en général, après leur fonction de responsable du bureau de sécurité à Paris. C’est le cas de l’actuel patron et de celui qui l’avait précédé. Ils avaient pour tâche de tisser des réseaux de surveillance et enrôler des voyous pour contrer le Hirak comme ont pu le révéler certains procès sur des agressions d’activistes du Hirak et que confirme l’arrestation cette semaine d’un fonctionnaire de Bercy pour espionnage au profit de l’Algérie à laquelle il transmettait des informations sur ses opposants C’est dire qu’une activité essentielle du renseignement extérieur est orientée contre la diaspora. Et se fait donc en France.
La France, une place de choix dans le narratif autoritaire du régime algérien
Mais la France va surtout se trouver mobilisée comme argument, comme idée-épouvantail dans les tentatives de construction par le régime de narratifs pour contrer le Hirak. Il va encourager un courant d’opinion nationaliste vindicatif centré sur la célébration de l’Etat, de l’armée et des valeurs traditionnelles et mettre la menace sur l’intégrité territoriale au centre du débat. Menace représentée par un ennemi intérieur, la revendication identitaire berbère, et un ennemi extérieur, la France. Dès juin 2019, le chef d’Etat-major de l’armée, Gaïd Salah, devenu l’homme fort du pays, en fait le discours officiel pour justifier la répression des activistes traités de « traitres » et stigmatiser la revendication de démocratie comme « néo-coloniale ». La France est mise au confluent de toutes ces accusations. Après son décès, ce discours sera invariablement repris par ses successeurs. Il s’incarnera dans un courant fortement encouragé par l’Etat, dénommé « Badissia-Novembria », sorte de synthèse entre nationalisme et islamisme qu’on peut qualifier de « national-islamisme » et qui fait singulièrement écho aux idées de l’extrême droite européenne. La visibilité de ce courant devenu sorte d’outil idéologique du régime, même si elle est le reflet pour une part de nouvelles élites militaires plus sensibles au conservatisme et au repli sur soi, elle tient surtout de l’instrumentalisation et ne reflète pas totalement la réalité des rapports de force au sein des décideurs. Abdelhamid Ghriss, qui fut secrétaire général du ministère de la défense nationale de 2018 à 2021 et qui, pendant les deux premières années du Hirak, a supervisé la guerre électronique menée au nom de la Badissia-novembria, était loin, par ses idées et son mode de vie, de l’anti-occidentalisme prôné par ce courant. Il n’en était que le manipulateur. C’est dans le cadre de sa mise en accusation pour corruption que le tribunal militaire de Blida en est arrivé à évoquer ce rôle.
Pour compenser l’isolement dans lequel l’a contraint le Hirak, le régime tente de séduire à tour de bras les conservateurs. Alors que le régime ressert la vis de la répression en condamnant lourdement des internautes pour de simples publications d’humeur sur Facebook, il négocie le ralliement et le retour au pays d’islamistes radicaux ayant du sang sur les mains à l’image de Anouar Hadam et veut donner des gages de bonne moralité aux conservateurs. Il a ainsi lancé des appels à la délation contre les déjeuneurs du Ramadhan pour favoriser leur répression et a commencé à mener une campagne de lourdes condamnations pour « mauvaises mœurs » y compris en violant les espaces privés. Comme la France symbolise les valeurs les plus répulsives pour ces conservateurs, le régime en fait la pâture idéale à leur jeter.
Il n’est pas nouveau que le rapport à la France soit instrumentalisé. Mais le régime actuel est allé au-delà. L’hostilité à la France devient un des ressorts idéologiques de son autoritarisme. Cette hostilité n’est pas tant due à la politique concrète de la France mais au fait que celle-ci, au-delà de la politique de ses dirigeants, représente la fenêtre d’ouverture sur le monde la plus pratique et la plus proche pour les Algériens alors que le régime a pour projet de soustraire sa population au monde pour mieux l’enfermer. C’est mu par cette obsession que le régime a interdit l’accès au sol algérien même à la Nobel Annie Ernaux dont la proximité est pourtant forte avec LFI, mouvement très impliqué dans la riposte à l’actuelle campagne anti-algérienne comme il l’a été régulièrement dans les précédentes mais surtout mouvement se revendiquant de l’héritage des luttes anticoloniales dont le régime algérien fait pourtant son fond de commerce. Mais aux yeux du régime algérien, tout cela a pesé si peu face au simple fait qu’Annie Ernaux ait apposé sa signature sur une pétition réclamant la libération du journaliste Ihsan El Kadi. C’est dire à quel point il est totalement obnubilé par sa vision répressive au point même d’y sacrifier les quelques possibilités de se faire entendre par l’opinion française. Le régime algérien n’a pas seulement des problèmes avec l’extrême droite française mais il en a d’abord avec l’idée de liberté.
Conclusion
En conclusion, je dirai que malheureusement l’image de l’Algérie aujourd’hui est la même que celle du Maroc dans les années 80 : un pays dictatorial, répulsif et isolé. Hassan II avait compris que cet isolement était intenable pour le pays et son régime. Lucide et contraint, il décrète une amnistie générale et le retour de tous les opposants puis ouvre le jeu politique qui porte au pouvoir ses plus vieux opposants dont certains vivaient même chez le « frère-ennemi » algérien. Il fait rentrer le Maroc dans une autre ère tout en sauvant son régime.
Se trouve-t-il dans l’état-major algérien des généraux capables d’une telle lucidité ?