Ce que dit l’article 87 bis du Code pénal algérien

Accusations contre Boualem Sansal

L’article 87 bis, qui définit le terrorisme, a été renforcé en 2021 pour englober ce que les autorités algériennes ont considéré comme de nouvelles « menaces ».

Par Adlène MeddiPublié le 27/11/2024 à 17h00

L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, arrêté à sa descente d’avion à l’aéroport d’Alger le 16 novembre, est principalement poursuivi selon les termes de l’article 87 bis du Code pénal algérien. Selon le quotidien gouvernemental El Moudjahid, Boualem Sansal est également sous le coup d’autres « chefs d’inculpation dans le cadre du Code pénal », sans plus de précision.

C’est le pôle judiciaire spécialisé dans la lutte antiterroriste et du crime organisé, du tribunal de Sidi M’hamed (Alger-centre), qui a signifié à l’écrivain sa mise en détention provisoire dans l’attente de l’instruction de son dossier.

La définition du terrorisme et les ajouts post-hirak

Que contient l’article 87 bis ? Il fait partie de l’arsenal pénal actualisé durant la moitié des années 1990 lorsque l’Algérie faisait face à l’insurrection terroriste islamiste, sous le chapitre intitulé « Des crimes qualifiés d’actes terroristes ou subversifs », inclus dans le Code pénal dès 1995. Le 87 bis englobe un large panel de ces « crimes » et « actes » et de leur définition.

Les premiers paragraphes de cet article datant de 1995 stipulent : « Est considéré comme acte terroriste ou sabotage, tout acte visant la sûreté de l’État, l’unité nationale et la stabilité et le fonctionnement normal des institutions. » La peine maximale est la condamnation à mort, même si un moratoire suspend l’exécution de cette peine depuis 1993, automatiquement commuée en perpétuité.

Dans le contexte des suites du hirak, ce mouvement populaire né en 2019 pour empêcher le cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, les autorités décident d’ajouter au dispositif de l’article 87 bis de nouveaux paragraphes. Selon l’ordonnance n° 21-08, la définition de l’« acte terroriste ou sabotage » est augmentée de deux nouvelles manœuvres : « œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels » et « porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’inciter à le faire, par quelque moyen que ce soit ».

Il est possible que cette dernière définition du terrorisme soit incluse (ou motive en grande partie) dans l’instruction de l’affaire Boualem Sansal après ses propos sur une problématique territoriale entre l’Algérie et le Maroc.

« Ces deux ajouts sont nés de la crainte des autorités face à d’éventuels dérapages violents du hirak, qui fut noyauté par des activistes du MAK et de Rachad qui ont mené des campagnes féroces contre l’État et l’armée, appelant à l’insurrection », atteste une source judiciaire.

Le MAK et Rachad ciblés

Le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK) et Rachad, formé principalement d’exilés du Front islamique du Salut (ex-FIS, dissous en 1992), ont été classés « entités terroristes » par les autorités algériennes depuis mai 2021, avant qu’un arrêté du 6 février 2022 ne les inscrive, ainsi que seize de leurs membres, notamment des assimilés, sur la liste nationale des personnes et entités terroristes. D’après des avocats, une « majorité des détenus arrêtés depuis, que nous qualifions de détenus d’opinion, l’ont été sous le régime de l’article 87 bis ».

Dans l’esprit des autorités, le rajout « œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels » vise les organisations, les partis ou les militants qui refusent l’agenda officiel pour sortir de la crise post-déchéance du président Bouteflika. Il cible ceux qui militent pour une transition politique, « hors cadre institutionnel » et « hors retour au processus électoral », pour reprendre les termes des autorités.

Critiques d’ONG sur l’entrave à l’activité politique pacifiste

Cette vision a été critiquée par des ONG, des politiques et des juristes comme étant une entrave à l’activité ou la proposition politiques pacifistes. « Ainsi, le fait de réclamer l’élection d’une Assemblée constituante pour établir un changement de système politique risquerait de tomber sous le coup de l’accusation de terrorisme puisque ce moyen est “non constitutionnel” en ce qu’il n’est pas prévu par la Constitution », avait souligné, à l’époque, l’ONG Mena Rights Group.

La seconde motion ajoutée au 87 bis en 2021, « porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’inciter à le faire, par quelque moyen que ce soit », vise clairement le MAK, dont plusieurs dirigeants, installés en France, condamnés à de lourdes peines par la justice algérienne.

Le président de cette organisation, Ferhat Mehenni, a été condamné par contumace à la prison à perpétuité en novembre 2022 sur la base de cette disposition. Alger a souvent accusé le Maroc de soutenir le MAK, allant même à pointer l’appui de Rabat au MAK rendu responsable des terribles incendies qui avaient ravagé la Kabylie l’été 2021.

Source: Le Point

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